Les managers, solubles dans le numérique ?

Alors que la révolution numérique devait inciter les entreprises à transformer leur organisation et passer d’un modèle pyramidal à une structure plus collaborative et transversale, une récente enquête révèle que les personnes interrogées ressentent davantage le côté hiérarchique plutôt que coopératif (62 % vs 38 %) et l’opacité au détriment de la transparence dans les processus de décision (63 % vs 37 %). Doit-on s’en étonner ?

Pas vraiment, car 72 % des cadres ne se sentent pas associés aux choix stratégiques de leur entreprise et 54 % estiment que leur éthique professionnelle entre en contradiction avec les choix et les pratiques de leur entreprise.

La mutation numérique nécessite une capacité d’adaptation et de renouvellement continu du fonctionnement des organisations de travail et des métiers. Or, ce n’est plus seulement par l’innovation technologique ou par des procédés facilement transposables, que se construit une efficacité globale de l’entreprise mais par une transformation profonde des modes de management permettant l’expression des savoirs faire et l’écoute des salariés.

L’enjeu est aujourd’hui de réussir une mobilisation des capacités humaines, par des relations de travail qui donnent du sens et favorisent les bons comportements, tels que la coopération, la créativité, l’ouverture, la transparence, le partage d’informations et de connaissances. Il s’agit de revoir les pratiques managériales afin de valoriser le « bien travailler » et de concevoir des solutions organisationnelles partagées pour gagner l’engagement des équipes.

Les effets de ces transformations sur le contenu du travail, la façon de travailler et les périmètres des métiers sont si vastes et interdépendants qu’ils nécessitent une analyse globale qui intègre l’apport et l’expertise des véritables experts du travail : celles et ceux qui réalisent l’activité. 60 cadres, managers, experts, chefs de projets, chefs d’équipes ont été rencontrés dans le cadre du projet de l’UGICT «Qualité de Vie au travail & Numérique», pour au total plus de 300 témoignages de terrain où l’encadrement de proximité exprime à la fois ses difficultés et ses attentes à partir du vécu professionnel.

L’avis des experts

La synthèse interprofessionnelle des entretiens experts a dégagé des points communs aux cadres et managers de proximité autour de deux volets :

  • Évolutions et transformations communes constatées (reporting chronophage, Système Informatique (SI) défaillant ou inadapté, intensification du travail, difficulté à se déconnecter du travail…).
  • Évolutions et solutions communes souhaitables (facilitation du travail, qualité du travail, sens du travail et éthique, aide à la décision…).

Cette synthèse met en évidence les interrogations posées sur les conditions d’exercice professionnel des cadres et managers de proximité en tant que salariés, sur le contenu de leur travail, et leurs attentes par rapport à leur métier et/ou leur organisation.

Développer les espaces de discussion et les différentes formes de soutien aux équipes et entre homologues et admettre leur capacité à intervenir sur le contenu et l’organisation du travail.

Il s’agit de donner du sens au travail et de favoriser le travail bien fait. La multiplication des différents modes de fonctionnement : en réseau et à distance, en mode projet, avec des prestataires externes et/ou avec des clients, etc., rend nécessaire la mise en place des lieux d’échanges physiques et/ou à distance pour évaluer le contenu du travail et rechercher des solutions communes à adopter face aux problèmes rencontrés. L’élaboration des objectifs et des modes opératoires doit s’accompagner d’une discussion sur les incidences prévisibles et les moyens nécessaires. Ces lieux dédiés, propices à l’exploration, participent à la levée des pesanteurs et des cloisonnements présents dans les organisations en place. Ils contribuent aussi à favoriser la pleine contribution de chaque membre du collectif de travail.

L’espace de travail, les organisations du travail et le management doivent être pensés et conçus pour soutenir la réalisation de l’activité et faciliter sa régulation. L’espace de travail doit être conçu pour devenir le lieu adéquat à une activité donnée. Il faut donc bannir les lieux neutres, interchangeables, et impersonnels pour laisser place à des espaces de travail qui correspondent aux besoins et aux usages de celles et ceux qui réalisent l’activité. Le management doit favoriser la coopération afin d’être en capacité d’obtenir l’engagement mutuel vers un objectif commun. Ce mode d’organisation de l’activité permet d’explorer au sein du collectif de travail des possibilités novatrices qui permettent de répondre à un besoin partagé. Cela suppose l’établissement de règles de travail partagées et des responsabilités assumées qui doivent être élaborées en proximité, au plus près des conditions réelles d’exercice professionnel.

Concevoir des solutions organisationnelles et numériques opérationnelles en mettant la flexibilisation des organisations du travail au service de celles et ceux qui réalisent l’activité

L’évolution des modes d’organisation, de l’activité et des conditions de vie et de travail est marquée par une intensification du travail et une augmentation qui va crescendo de la charge de travail. La multiplication des sollicitations, l’effet zapping, l’immédiateté ou le « juste à temps », ne peuvent pas durablement permettre de réaliser un travail de qualité, de manière efficiente et dans de bonnes conditions. Les tâches complexes, nécessitant des temps longs de concentration, n’ont pas disparus. Les solutions organisationnelles et numériques doivent donc permettre de manière prospective d’évaluer en amont de chaque projet, ou tâches à effectuer, la charge de travail réelle afin d’ajuster les moyens en conséquence.

Le management de proximité doit pouvoir dégager du temps pour gérer et réguler son travail avec toutes les parties intervenantes. Les systèmes d’information, leurs interfaces et les outils numériques doivent être mobilisés afin d’automatiser les tâches qui peuvent l’être, et aider à réduire au maximum le temps dévolu à l’analyse de l’information et au reporting. L’objectif est de permettre aux professionnels de se concentrer sur l’exercice de leurs métiers, les décisions à prendre, leur participation aux temps d’échanges utiles, et pouvoir dégager du temps pour son équipe (manager) et/ou un collectif de travail (conduite ou participation à un projet) et/ou pouvoir s’isoler pour disposer de temps de concentration pour exécuter des tâches complexes.

Développer un management basé sur l’intelligence collective et les organisations du travail apprenantes en renforçant la formation sur deux axes forts et distincts : la formation liée aux évolutions du métier et celle relative à l’utilisation des outils numériques

l s’agit de favoriser la représentation «du tout» pour chacune et chacun, car c’est ainsi que la production collective aboutit à «un tout» qui est supérieur à la somme des parties. L’intelligence collective et la coopération sont sources d’innovation car elles portent une culture de l’échange, de la solidarité et de la transdisciplinarité. Cette construction de mode de travail collectif peut s’appuyer, sans que ce soit exclusif, sur les nouveaux outils numériques de partage afin d’encourager l’interactivité. Ce collectage et ce partage des savoirs individuels permettent la confrontation des idées et des points de vue, eux-mêmes sources d’innovation et de créativité. La diversité des formes de travail collectif (en mode réel ou virtuel) sont à explorer sans exclusive, ce sont les résultats et l’acceptation par le plus grand nombre qui détermineront les formes (évolutives) souhaitables.
L’évolution du contenu et du périmètre des métiers nécessite de concevoir d’une toute autre manière la formation :

  • L’inscrire dans une logique continuelle liée à l’évolution permanente des métiers qui ajoute aux compétences cœur de métier de nouvelles compétences plus transverses.
  • Ajouter une nouvelle dimension à la formation liée à la maîtrise des outils numériques rendue nécessaire par rapport à l’évolution du métier et à ses conditions d’exercice.

Enfin, l’adaptation aux nouvelles compétences du métier, comme la reconversion professionnelle, doivent être pensées et conçues avec celles et ceux qui exercent le métier.

Développer la qualité des relations professionnelles et la qualité du dialogue social en les fondant sur l’expression du travail et l’octroi de nouveaux moyens au management de proximité

L’efficience de l’organisation passe par une bonne ambiance de travail et un intérêt fort à son activité professionnelle. Le soutien managérial et entre homologues, au sein et entre les collectifs de travail, est essentiel pour préserver un cadre de travail qui « fait envie ». Or, l’encadrement de proximité évolue dans un cadre qu’il ne choisit pas et pour lequel il n’a pas toujours, loin sans faut, son mot à dire. Il est important de s’accorder sur une stratégie globale et partagée prenant en compte les questions fondamentales sur l’avenir de l’activité, des métiers et de leur contenu, des conditions de vie et de travail, etc. Cette définition de la stratégie globale et partagée doit s’inscrire dans une logique qui dépasse le court-termisme et être sur une logique prévisionnelle. L’apport des organisations syndicales pour construire le cadre de ces évolutions est essentiel pour faciliter la tâche du management de proximité, car il permet de donner une référence commune et partagée sur les évolutions à construire. Il s’agit de centrer le dialogue social sur le travail et les processus professionnels afin, notamment, d’obtenir la convergence entre qualité de service et qualité de vie et de travail.

 

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2 réactions

  1. La « revolution » numérique entraine de plus en plus de reporting « grâce » aux fameux outils sensés nous faciliter la taches. Et les managers sont également soumis à cela, il faut donc des managers de managers pour analyser ces reporting. Le cercle vicieux

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