Vous avez tous lu le mail de la direction concernant la prochaine dématérialisation de la feuille de paie, accompagnée d’un coffre-fort numérique personnel GRATUIT dans lequel vous pourrez mettre tous vos précieux documents. Une belle avancée ?
Ce que dit la loi :
Lorsqu’il décide de procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, l’employeur informe le salarié par tout moyen conférant date certaine, un mois avant la première émission du bulletin de paie sous forme électronique ou au moment de l’embauche, de son droit de s’opposer à l’émission du bulletin de paie sous forme électronique.
Mais également :
Le salarié peut faire part de son opposition à tout moment, préalablement ou postérieurement à la première émission d’un bulletin de paie sous forme électronique. Le salarié notifie son opposition à l’employeur par tout moyen lui conférant une date certaine. La demande du salarié prend effet dans les meilleurs délais et au plus tard trois mois suivant la notification. »
Ainsi, et la CGT le déplore, la loi a inversé le dispositif qui existait jusqu’alors : La fiche de paie était envoyée par défaut au format papier, sauf si le salarié demandait expressément à l’avoir sous format électronique.
Vous pouvez tout de même vous opposer à la dématérialisation de votre bulletin de paye et nous vous expliquons pourquoi.
Sécurité et fiabilité …
C’est une question à laquelle il est difficile d’avoir une réponse. Au vu de l’actualité récente sur la sécurité informatique, difficile d’apporter des garanties sur le caractère inviolable des données. Sur ce point, la localisation des serveurs en France n’est pas une garantie suffisante de sécurité des données
En plus de la sécurité informatique, nous avons posé des question (sans réponse de la part de la direction) sur la sécurité physique des données. Nous vous rappelons l’incendie du datacenter d’OVH à Strasbourg (2021) : les salariés qui dématérialisaient là-bas, même avec une soi-disant garantie de sauvegarde, ont tout perdu ! (une action de groupe est d’ailleurs en cours)
Durée de stockage …
Le code du travail ne fixe que deux contraintes :
- La durée de la conservation garantie : Cinquante ans ou six ans après le départ en inactivité
- Un préavis de trois mois si le service est amené à fermer. Chaque salarié devant alors télécharger ou imprimer à la hâte des dizaines, voire des centaines, de bulletins de paie, ainsi que les documents personnels stockés dans son coffre-fort numérique
La CGT attire votre attention sur l’insuffisance de ces garanties. Il n’y a pas formellement de garantie « à vie » et un préavis de trois mois pour récupérer des années de stockage semblent bien insuffisant.
Interopérabilité …
Un mot compliqué pour désigner la capacité de passer sans efforts et sans problèmes d’une plateforme à une autre. La solution proposée ne présente à ce jour aucune garantie d’interopérabilité. Ainsi, que devient l’accès à vos données en cas de changement d’employeur, de départ en inactivité, de changement de prestataire ?
Dans l’éventualité ou vous voudriez récupérer vos données (dans un délais de 3 mois, déjà court pour toute une vie), il n’y a donc aucune garantie technique d’accompagnement. En plus de gérer l’administratif il vous reviendra à vous, salarié, de vous préoccuper également des formats de données, des modes de connexion, … Pour un ou deux document, pourquoi pas, mais pour les données de tout une vie de travail ? Sans parler de l’éventualité d’une re-matérialisation ….
Impact environnemental et social …
La direction ne semble pas avoir lu le dernier rapport du GIEC qui nous donne 3 ans pour agir et qui pointe la vacuité des solutions dites « technologiques ». Il est pourtant simple de trouver des publications scientifiques qui comparent l’impact écologique et social d’une distribution papier des bulletins de paye à celui d’une dématérialisation.
- Sur le plan social, aucune surprise : la dématérialisation fait faire des économies aux entreprises et entraine une perte d’activité pour les entreprises qui réalisent l’édition et la distribution, alimentant ainsi des destruction d’emploi dans ces structures.
- Sur le plan écologique, les scientifiques sont clairs, la dématérialisation est intéressante par rapport au papier du moment que vos données sont stockées moins d’un an ou lues moins de 15 minutes (source, ADEME).
Dit autrement : la dématérialisation de la paye ne présente aucun avantage environnemental ! C’est pourtant un des argument mis en avant par la direction qui nous promet la réalisation d’un « bilan carbone » (mais on ne sait quand ni à quelles conditions).
L’urgence climatique et sociale que nous visons actuellement commande pourtant d’anticiper ces questions et non de se les poser après-coup, quand les solutions sont déjà déployées. En la matière, notre direction confond vitesse et précipitation.
… Et autres surprises
Les salariés qui auront pris la peine de lire les conditions générales de note fameux « coffre-fort gratuit » auront pu remarquer que :
- l’ouverture du coffre-fort donne le droit au prestataire d’exploiter vos données personnelles à des fins commerciales,
- après téléchargement d’un document par vos soins dans votre coffre-fort, celui-ci n’a plus l’intégrité du document original,
- Le compte peut être clôturé après 12 mois d’inactivité,
- le fournisseur se réserve le droit de modifier les fichiers pour être lus par des logiciels à jour,
- vous ne pouvez pas y stocker n’importe quoi (informations concernant l’origine raciale, ethnique, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l’appartenance syndicale, la santé, la vie sexuelle ainsi que tout contenu à caractère illicite)
Vous aurez également noté, dernière surprise du panier, que l’activation du coffre-fort vaut consentement à la dématérialisation de vos bulletins de paie !
En somme, il est surtout urgent de prendre le temps de la réflexion
Ne vous précipitez pas, prenez le temps de la réflexion, en aucun cas l’utilisation du coffre-fort électronique est obligatoire, vous avez le choix de continuer à recevoir votre bulletin de paie par courrier à votre domicile.